La loi anti fast-fashion affaiblie par le Sénat

Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mars 2024, la loi anti fast-fashion aurait pu marquer un tournant historique pour l’industrie textile française. Un an plus tard, le rêve semble s’effriter. Ce qui devait être un texte fort contre les dérives environnementales et sociales de la mode rapide est aujourd’hui fortement fragilisé par son passage en commission au Sénat. Associations, ONG et acteurs du secteur dénoncent un détricotage méthodique. Décryptage.

Une loi qui perd ses dents

La version initiale de la Proposition de Loi (PPL) entendait réguler les pratiques des géants de l’ultra fast-fashion — Shein, Temu en tête — en imposant un cadre clair sur la quantité de modèles proposés, des sanctions financières via un bonus-malus écologique, et une interdiction de publicité pour ces marques polluantes.

Mais une fois arrivée entre les mains des sénateurs, la loi a été sérieusement amendée. D’abord, en modifiant la définition même de la fast-fashion : ce ne sera pas le volume de produits vendus, mais celui de modèles mis en vente qui fera foi. Une nuance qui permet d’épargner bon nombre d’acteurs historiques européens comme Zara, Kiabi ou encore H&M, pourtant piliers du modèle rapide.

Disparitions stratégiques et flou juridique

La suppression du bonus-malus environnemental, pourtant salué par les associations, est un autre coup dur. Prévu pour récompenser les marques vertueuses et sanctionner les plus polluantes via un affichage environnemental, il est remplacé par une mention vague de "pénalités liées aux pratiques commerciales". Sans définition, ni décret annoncé, l'application semble compromise.

Le comble ? L’article 3, interdisant purement et simplement la publicité des marques de mode rapide, a tout bonnement été supprimé. Ne reste qu’un encadrement des partenariats avec les influenceurs. Pour les sénateurs, l’objectif est de rester conforme au droit européen et à la liberté d’entreprendre. Pour les défenseurs du climat et des droits humains, c’est une occasion manquée de rétablir un minimum d’équilibre dans une industrie débridée.

Un texte vidé de sa substance ?

"On assiste à un véritable lavage législatif", déplore Pauline Debrabandere, de l’association Zero Waste. "L’ambition du texte a été sacrifiée sur l’autel des intérêts économiques." Le co-fondateur de SloWeAre, Thomas Ebélé, va plus loin : "On se dirige vers une loi cosmétique, sans impact réel."

Le timing n’est pas anodin. Ces derniers mois, le lobbying s’est intensifié. Le géant Shein multiplie les tentatives de légitimation en France : création d’un comité RSE piloté par… l’ancien ministre Christophe Castaner, offensive médiatique dans le JDD, et discours bien rôdé sur la "responsabilité sociale".

Le vrai prix de la fast-fashion

Au cœur des critiques : l’omission quasi totale de la dimension sociale. Le texte ne prévoit aucune mesure visant à protéger les droits des travailleurs ou des consommateurs. Un manque que dénonce Fashion Revolution France, rappelant que l'industrie textile mondiale repose encore en grande partie sur une main-d'œuvre exploitée, souvent féminine et minorisée.

En parallèle, les conséquences en France sont bien réelles : la coalition Stop Fast-Fashion rappelle que plus de 300 000 emplois ont été supprimés depuis les années 1990 à cause des délocalisations encouragées par la fast-fashion.

Et maintenant ?

Initialement prévu le 26 mars, l’examen du texte en séance au Sénat est repoussé — potentiellement au 19 mai, sans confirmation officielle. Une lenteur qui alimente la frustration des ONG, d’autant que le gouvernement semble peu enclin à faire de ce sujet une priorité. François Bayrou aurait même confié en privé ne pas vouloir "nuire au pouvoir d’achat des Français les plus modestes".

Mais à quel prix ? Le 14 mars dernier, les associations ont répondu par une action symbolique forte : 10 tonnes de déchets textiles ont été déversées près du Sénat, accompagnées de manifestations dans toute la France. Le message est clair : si le politique ne protège pas l’environnement, la société civile prendra la parole — haut et fort.

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